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HG47
3 avril 2013

3 Alors ainsi, je pars pour les Jeux. Un vent

3
Alors ainsi, je pars pour les Jeux. Un vent frais souffle sur toute la place, et je me mets à grelotter des pieds à la tête. Mon regard se porte sur tous ces jeunes, en contrebas. Aucun n’a cherché à me remplacer.
C’est comme ça. J’ai été tirée au sort. Pas une autre. Pourquoi quelqu’un devrait-il se sacrifier pour ma petite personne ? Après tout, c’est bien mieux ainsi. Une meurtrière de moins à courir dans les rues.
Ethan… Bientôt, je te rejoindrai.
Le reste de la cérémonie se passe à une vitesse foudroyante, car mon esprit ne cesse de vagabonder ailleurs. Alice tire un garçon, rapidement remplacé par un autre, baraqué, grand, sûr de lui. Alice se met entre nous deux, nous agrippe le poignet bien fort en faisant entrer ses longs ongles dans notre peau, et nous lève les bras pour susciter les applaudissements. Je crois ensuite qu’elle me demande de nous serrer la main, ce Carrière et moi, ce à quoi je réponds d’une petite voie étranglée : « Mais vous êtes folle ? Ce type veut me tuer ! »
Puis il y a le reste du protocole : l’échange de poignées de main avec les anciens vainqueurs, l’hymne, à nouveau, puis on nous emmène dans la mairie. Enfin, pour ma part, je suis aidée par un ancien et par le maire en personne, car mes jambes ne me permettent plus de me soutenir. Je crois même avoir quelques moments d’absence.
Je suis réveillée par une monumentale claque d’un Pacificateur visiblement outré par ma faiblesse. On m’a installée dans une petite pièce ; deux personnes se trouvent dans l’encadrement de la porte. Mes parents.
« Vous avez cinq minutes. »
À peine le Pacificateur a-t-il claqué la porte derrière lui que mes parents se précipitent vers moi, s’effondrent en larmes à mes pieds, m’enserrent de leur plus forte poigne.
« Oh ma chérie… »
Je suis un temps bousculée par leurs embrassades, mes yeux n’arrivent pas à s’accommoder à la pénombre, ma langue ne parvient pas à articuler le moindre mot intelligible.
Mon père enserre mon visage entre ses deux mains, me force à le regarder dans les yeux.
« Papa…
— Écoute-moi, Azurée ! C’est très important à présent. C’est ta vie qui est en jeu, tu saisis ? »
Je le regarde de mon air ahuri. Je me sens mal ; je crois que je vais retomber à nouveau dans les pommes.
« Oui, finis-je par articuler.
— Ta stratégie est simple : tu dois fuir les affrontements. Contente-toi d’attendre que les autres s’étripent entre eux ! »
C’est à mon tour de passer mes mains sur ses joues.
Dans un éclair de lucidité, je lui réponds :
« Mais papa… Qu’est-ce que je ferai quand je me retrouverai seule face à l’autre finaliste ? »
Les larmes débordent de ses yeux. J’ai une boule tellement grosse dans la gorge que j’ai du mal à déglutir.
« Tu le sais. Nous le savons tous ici. Que je n’ai aucune chance. »
Il m’enlace et me sert fortement contre lui.
« Oh ma chérie… Pourquoi a-t-il fallu que ça tombe sur toi ? »
J’ai le temps de lui dire « tout va bien se passer » avant que les étoiles envahissent à nouveau mon champ de vision. Je m’écroule dans ses bras.
Quand je reviens à moi, je suis étendue sur le sol. Mes oreilles perçoivent les hurlements et les lamentations de mes parents qui se débattent avec trois Pacificateurs. Mon père se défend, il en frappe un, tente de se dégager de l’emprise des autres. Un violent coup de poing dans le ventre le met à terre. Il est rapidement emporté hors de la salle. Ma mère est à genoux, à mi-chemin entre moi et l’endroit où mon père se trouvait l’instant d’avant. Elle ne cesse de sangloter. Bien vite, deux Pacificateurs viennent la chercher, la soulèvent, l’emportent loin de moi avant de refermer la porte. Ses plaintes résonnent longtemps dans mes oreilles.
Me voici à nouveau seule. Abandonnée, définitivement. En l’espace d’une trentaine de minutes, une famille a été complètement anéantie.
Je reste allongée sur le dos, dans la même position où je me suis réveillée. Mes yeux gardent l’empreinte de mes parents cherchant à me protéger. Le kaléidoscope que forment mes larmes sur mes rétines décuple cette image qui tourne en spirale à l’infini.
Quand on vient me chercher, je suis si faible qu’ils doivent me déposer sur un brancard. C’est ainsi qu’on me transporte jusqu’au toit de la mairie pour embarquer dans l’hoverplane, à la vue de dizaines de caméras qui ne manquent pas de faire de gros plans de mes joues trempées par mes larmes et celles de mes parents. Je donne une bien piètre image de moi, les autres tributs seront hilares quand ils verront la retransmission de la Moisson. En voilà une qui va crever dès le premier jour, c’est sûr !
Dans l’hoverplane, on m’assied dans une des niches et on verrouille ma ceinture de sécurité. Mes yeux tombent aussitôt sur la personne en face de moi : le garçon volontaire. Il est grand, les cheveux bruns taillés en brosse, les épaules et les pectoraux développés, la mâchoire large et les dents serrées. J’ai l’impression qu’il est un peu tendu. Je me rappelle à présent qu’il n’a pas souri une seule fois quand il s’est déclaré volontaire et qu’il a monté les marches pour nous rejoindre. Il a froncé des sourcils quand j’ai refusé de lui serrer la main, puis m’a oublié rapidement. Ce garçon en face de moi, aussi haïssable puisse-t-il l’être, a bien plus d’estime que moi. Lui au moins, il a sauvé une vie.
Nous ne cessons de nous regarder ; il n’y a pas de haine dans nos regards, seulement de l’incompréhension. Nous vivons dans deux mondes si éloignés qu’ils ne peuvent se rencontrer.
Nous sommes finalement rejoints par trois mentors – je croyais qu’on allait en avoir quatre ; ils ont dû penser que je n’en valais pas la peine – qui s’assoient à nos côtés. On a de gauche à droite : un trentenaire un peu effacé, les cheveux déjà grisonnants, les yeux plus aussi brillants que durant sa jeunesse ; une femme qui doit s’approcher de la trentaine, cheveux châtain clair lui tombant en cascades de chaque côté de son visage dur et franc ; et un jeune homme d’une petite vingtaine d’années, les cheveux clairs, mais pas autant que les miens.
Je réalise que je ne connais pas leur histoire. Je n’ai jamais vraiment fait attention aux retranscriptions des anciennes éditions des Jeux de la faim. Je ne pourrais dire comment ils ont gagné leurs Jeux. Se sont-ils montrés cruels ? Ont-ils gagné par un coup de chance ? Rien dans leur regard ne me permet de le deviner.
C’est à cet instant, après que mon regard s’est posé tour à tour sur tous ces volontaires, que le visage de Lindsey éclate à mes yeux. Je n’ai pas pensé à elle depuis la fin de la cérémonie. Je me rends compte qu’elle n’est pas venue me voir après, ni ses parents. Comme si nous étions fâchées à mort. En même temps, qu’aurait-elle pu me dire ? « Désolé, Az’, j’ai eu une peur bleue et je me suis pissée dessus » ? Non il valait mieux que je ne la voie pas, car peut-être aurais-je eu des instincts meurtriers.
Je ne peux m’empêcher de me sentir trahie par ma meilleure amie qui n’est pas venue à mon secours, ne m’a pas encouragée, et ne m’a même pas dit au revoir. J’ai un peu de mal à comprendre ce qu’il s’est réellement passé dans sa tête. Si quelqu’un d’autre avait été choisi, aurait-elle eu la force de le remplacer ? M’en voulait-elle pour quelque chose en particulier, qui ait abouti à sa défection ? Je ne le saurai sans doute jamais. Après tout, quand deux amies se séparent sans se dire adieu, cela veut peut-être dire qu’elles sont persuadées qu’elles se reverront.
Alice Dogson est la dernière personne à monter à bord. À peine a-t-elle fini d’attacher sa ceinture que nous décollons. C’est la première fois que je vole, et je ne peux m’empêcher de me retourner afin de jeter un coup d’œil de l’autre côté du hublot. Nous prenons rapidement un peu d’altitude, et il m’est possible de contempler toute une partie de mon district : les douces pentes du vallon complètement recouvertes par des habitations basses de un ou deux étages, toutes surmontées de leurs panneaux solaires. Plus loin, les vastes territoires des centrales à charbon et à bois. Enfin là-bas, à l’horizon, le mur en béton qui court tout autour du district, haut de quinze mètres, perpétuellement gardé et entretenu. Il nous est impossible de voyager d’un district à l’autre. D’une certaine manière, c’est une chance de pouvoir découvrir le Capitole de mes propres yeux. Un joli voyage touristique avant ma mise à mort. Comme une dernière volonté.
J’espère que mes parents vont bien. Qu’ils ont été relâchés. Ce serait horrible pour eux d’assister à la mort de leur fille, enfermés dans une petite cellule miteuse. Il leur faut le confort de notre maison pour supporter les images qu’ils auront à subir les prochains jours.
« Bon, nous avons trois heures de vol. Ne perdons pas de temps. »
C’est le plus vieux mentor qui s’est adressé à nous. Il se détache et va s’installer à une large table ronde au fond de la cabine passagers qui constitue la quasi-totalité de l’espace habitable de l’hoverplane. « Allez, dépêchez-vous. »
Les autres mentors ne tardent pas à le rejoindre, suivis par le volontaire, Alice, puis moi. Nous nous asseyons tous autour de la table. Une carafe et plusieurs verres émergent du trou central contenant un petit monte-charge. La carafe contient un liquide orangé, sûrement alcoolisé. Je suis servie généreusement, et j’engloutis ma dose d’une traite, ce qui ne manque pas de me faire tousser.
« Stieg, tu peux nous le dire, à nous. T’es un Carrière, c’est cela ? Nous l’avons tous été ici. »
Le garçon volontaire se racle la gorge. Je n’avais même pas saisi son nom lors de la Moisson.
« C’est exact. » Sa voie est plus douce que j’aurais pu le penser. Il parle sans détour, sans baisser les yeux, sans montrer plus de sentiments que nécessaire. « Je m’entraîne depuis que je sais marcher. Dans notre famille, gagner les Jeux serait un très grand honneur. Et une source de revenus non négligeable. Mes parents travaillent à la centrale à charbon. Autant vous dire que nous ne croulons pas sous l’or. Mon… » Stieg hésite, baisse les yeux un court instant avant de se reprendre. « Mon frère s’est porté volontaire il y a trois ans. Il est arrivé finaliste mais a perdu…
— Vlad Engelsson. Maintenant que tu le dis, je me souviens bien de lui, intervient la fille mentor, qui doit s’appeler June, si mes souvenirs sont bons. Il s’est bien battu, mais a manqué de chance.
— Sa cheville l’a trahie. Une vilaine foulure qui l’a fait fléchir lors de l’ultime combat au couteau. Si je suis là aujourd’hui, c’est aussi pour laver son honneur. Il méritait de gagner.
— Et c’est quoi, ta spécialité ? » Cette fois-ci, c’est le jeune qui s’est adressé à lui. Je crois qu’il s’appelle Jonathan, mais je n’en suis plus si sûre. Quant au plus vieux, c’est Eric, ça, je m’en souviens.
« Je me suis entraîné à un peu toutes les armes, lames courtes comme longues, mais aussi des armes de jet, bien que je manque de précision.
— Et tu maîtrises les techniques d’embuscade ? Si on t’oriente plutôt dans le combat au corps-à-corps, il faut que tu puisses approcher l’ennemi sans prendre le moindre risque. »
Ennemi… Voilà ce que les autres tributs sont pour eux. Je les regarde palabrer d’armes et de techniques d’assassinat, car c’est bien ainsi qu’il faut l’appeler. Leurs yeux pétillent de fébrilité, leurs mains s’agitent pour mimer telle ou telle situation de combat. Deux personnes restent bien silencieuses : Alice, qui garde sa dignité, en écoutant attentivement, mais en restant à l’écart de ces considérations guerrières, et moi. Je crois bien qu’on m’a complètement oubliée. Ils sont tous persuadés que je n’ai aucune chance, moi, pauvre petite désignée, qui n’a pas été remplacée, qui a des jambes et des bras fins comme des brindilles, et qui a passé davantage de temps à se maquiller qu’à se muscler.
Ils ont raison sur toute la ligne.
« Et toi ? »
Je reprends mes esprits. Toute la tablée s’est tournée vers moi.
« Quoi, moi ?
— Hé bien, qu’est-ce que tu sais faire ? Qu’est-ce que tu projettes de faire pour te défendre ? »
Je les regarde un par un, et j’ai pendant un bref instant l’impression qu’ils sont sérieux.
« Vous m’avez regardée ? je dis enfin. Vous pensez sérieusement que j’ai la moindre chance de survivre à la première journée ? »
Leurs yeux oscillent de mes jolis cheveux à présent tout emmêlés, à mes yeux d’un bleu intense.
« Il faudra bien que tu te défendes, finit par dire Eric. Tu es là, à présent, que ça te plaise ou non. C’est la vie. Le mieux que tu puisses faire, c’est de jouer le jeu. Après tout, il y a tellement de facteurs qui peuvent jouer en ta faveur : le style d’arène, le climat, les situations improbables… »
Le silence retombe. Un instant, j’ai envie de m’effondrer à nouveau en larmes, mais je crois bien que je n’ai plus rien à pleurer, et plus de larmes en stock.
« Je ne sais rien faire, je lâche finalement, d’un ton un peu plus froid et sec que voulu. Je ne me suis pas entraînée depuis des années, je n’ai pas de muscles, pas d’endurance, même pas de cervelle bien faite. Je ne pensais vraiment pas me retrouver là un jour. Les Jeux sont faits pour certains. Pas pour moi. »
Le tribut garçon et les mentors se regardent, puis s’échangent des messes basses. Seule Alice garde la tête bien haute, affublée d’un air on ne peut plus désapprobateur. Mais peut-être avec une pointe de pitié.
Quand ils daignent enfin relever la tête pour s’adresser à moi, je sens que quelque chose ne va pas me plaire. C’est Stieg qui prend la parole.
« Écoute, Azurée… Il y a une tactique qui… on va dire… nous arrangerait tous les deux. Elle a été testée il y a quelques années avec pas mal de succès, Jonathan pourra sans aucun doute approuver mes dires. »
Jonathan baisse les yeux mais hoche la tête en signe de consentement. Stieg se racle à nouveau la gorge ; je crois bien que c’est un tic.
« Le but, si tu le veux bien, et de rester alliés, unis, de s’entraider, d’accomplir ensemble notre boulot, là-bas. Et à la fin… Quand il ne restera plus que nous deux… »
Il se racle la gorge, une fois de plus.
« Je te promets une mort rapide et sans douleur, et, une fois devenu riche, je saurai me montrer généreux envers ta famille. »
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Commentaires
A
Ha, ça y est, je suis vraiment prise dans l'histoire... Les deux premiers chapitres étaient bien, une exposition, avec beaucoup de détails évidemment essentiels pour expliquer le contexte (quand on a lu Hunger Games, on connaît) , mais maitenant, on est dans le vif du sujet et on se laisse emporter.
HG47
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